Le Caviar et le Champagne


Perles noires et Bulles d'or


Beluga, Osciètre et Sevruga s'épanouissent sur le champagne.


Si l'esturgeon évoque irrésistiblement les créatures de la préhistoire, ce n'est pas très surprenant: on en trouve trace dans les écrits d'Hérodote et de Pline, plus tard dans ceux de Rabelais (il parle alors de " caviat "), puis de Cervantès qui dans Don Quichotte évoque les charmes du caviar pressé. Il semble qu'au fil des siècles, l'acipenser (tel est son nom générique) ait frayé dans la plupart des estuaires européens, y compris dans des régions où la vigne était déjà resplendissante. D'où vient alors que se pose encore la question " que boire avec le caviar " ?

Une récente tradition appelle la vodka, à la fois omniprésente et peu coûteuse dans les pays slaves; mais il lui faut être glacée jusqu'à devenir sirupeuse afin que soit tempérée l'agressivité de l'alcool. Alors, s'agissant d'un produit de la mer, on songe à un vin blanc, et face au mythique caviar c'est le plus grand de tous qui semble s'imposer: le champagne. Mais il y a " des " champagnes et il y a " des " caviars, les uns et les autres s'épousant en nuances délicates et changeantes pour un mariage d'amour sans cesse aux aguets.

C'est en partant de ce constat qu'on a imaginé une recherche passionnante: tenter de cerner les meilleures pistes des accords champagne/caviar.
Point question là-dedans d'édicter des verdicts tranchants et tranchés. Eléments de départ: les millésimés et les caviars beluga, osciètre et sevruga face à une équipe d'experts appelés à faire avancer la démarche pour tenter d'établir quelques certitudes.

 Premier enseignement: la perception sensorielle dépend étroitement de l'instant. Ambiance, état d'esprit, température de la pièce et des ingrédients, forme des verres et même silence environnant, tout entre en ligne de compte. Mais à partir d'un certain niveau de concentration, la chose vaut sans doute pour tous les grands vins et toutes les grandes tables.

Le deuxième principe mis en évidence, c'est l'importance du taux d'acidité des vins. On sait qu'il est déterminant pour le potentiel de garde, mais on ne lui prête guère d'autre attention et c'est certainement une erreur: il conditionne l'équilibre des accords bien au-delà de ce qu'on imagine. Non qu'on se régale des vins les plus acides, mais c'est sans doute cet élément qui constitue la " colonne vertébrale " du vin. En tout cas il monte en première ligne face aux saveurs iodées, notamment sur les osciètres qui explosent en finale comme un feu d'artifice sous le palais.

  • Seuls les champagnes bruts sont de taille à lutter, à l'exclusion de toute cuvée un peu largement dosée en sucre;
  • Les bruts rosés peinent à se mettre en valeur aux côtés des perles noires de la Caspienne.

Troisième constat: l'âge compte moins que les caractéristiques du millésime. Ainsi un " jeune " 95, commercialisé depuis l'année dernière et à peine ouvert encore, montre des charmes très voisins de ceux du 88, actuellement sur sa " deuxième plénitude ", les grands vins (et pas seulement les champagnes) connaissant parfois dans la bouteille plusieurs phases d'apogée plus ou moins rapprochées.

 De fait, 95 et 88 se distinguent par la puissance, l'ampleur, la complexité du bouquet, les arômes de fumé et de torréfié, tandis que 93 (goûté en magnum) et 85, également dans la course, se laissent finalement dominer par des saveurs un peu confites qui décrochent quand l'iode s'impose au palais.

Quant au millésime 73, il semble bien que son âge vénérable lui ait fait perdre de vue toute idée d'alliance: il se suffit à lui-même, et ne se mariera vraiment qu'avec une sonate de Mozart ou un concerto de Vivaldi.


Si maintenant on aborde la question à partir du caviar, les conclusions sont identiques:

  • Le beluga " le bouddha des caviars " peut arguer d'une complexité très nuancée qui appelle des vins de même type mais, paradoxe des sensations à travers les textures, ses grains plutôt gros s'accordent bien à une bulle très fine.
  • L' osciètre (ou plus exactement " les " osciètres) se distingue par une sorte d'explosion iodée en finale: il lui faut un champagne puissant, solidement charpenté, capable de résister à ce déferlement soudain.
  • Le sevruga, jolie synthèse de ses deux grands frères, se montre plus tolérant, moins entier dans ses accords : des trois, il sera sans doute le plus souple, le plus conciliant, le plus indulgent, mais sans courir jamais après ce grain de folie qui fait parfois naître la plénitude gustative.

 Que conclure de tout cela ? D'abord que l'audace est le vrai moteur du plaisir. Ensuite qu'il n'y a pas en cette matière de principe établi : l'extase ne peut pas se recopier. Enfin que les deux signataires d'une telle alliance doivent être à égalité : un champagne d'exception sur un caviar médiocre et inversement ne traduira ....

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